Cinq après
son arrivée au pouvoir en Guinée, Alpha Condé remet son mandat en jeu le 11
octobre. Face à lui, sept candidats, à commencer par Cellou Dalein Diallo, qui
compte bien prendre sa revanche après sa défaite au deuxième tour en 2010,
qu’il juge illégitime. Mais d’autres ténors de l’opposition, comme Sydia Touré
ou Lansana Kouyaté, espèrent tirer leur épingle du jeu. Et chacun avance ses
pions pour trouver d’éventuels alliés. Analyse.
Beaucoup
pensent que le scrutin de ce 11 octobre ne suffira pas pour désigner le
président des cinq ans à venir. A la présidentielle de 2010, il a fallu deux
tours pour qu’Alpha Condé, le candidat du Rassemblement du peuple de Guinée
(RPG), l’emporte d’une courte tête (52,5% des voix), devant Cellou Dalein
Diallo, le candidat de l’Union des forces démocratiques de Guinée (UFDG). Aux
législatives de 2013, même scénario. Le RPG d’« Alpha » n’a gagné qu’avec une
très courte majorité face à l’UFDG de « Cellou », alliée à l’Union des forces
républicaines (UFR) de Sidya Touré. Cette année, beaucoup d’observateurs
estiment donc que la présidentielle se jouera en deux tours, comme en 2010.
La grande
question du moment est donc de savoir qui virera en tête au terme du premier
tour de ce 11 octobre. Du côté de l’opposition, le candidat « Cellou », 63 ans,
qui reste persuadé qu’on lui a « volé » la victoire en 2010, fait une campagne
de proximité, non seulement dans son fief peul de Moyenne-Guinée, mais
également dans toutes les régions du pays. Dans tous ses meetings, il accuse le
président Alpha Condé de ne pas avoir tenu ses promesses en faveur du
développement du pays. « Avec un taux de croissance moyen inférieur à 5 % par
an, la Guinée est loin derrière la Sierra Leone et la Côte d’Ivoire, qui
atteignent des taux supérieurs à 7 % », affirme-t-il.
Certes,
l’épidémie d’Ebola, qui a tué depuis vingt mois quelque 2 500 Guinéens et qui a
longuement paralysé l’activité économique du pays, ne peut être mise au passif
du président sortant. Mais le numéro 1 de l’opposition affirme que, même avant
l’épidémie, les scores économiques de la Guinée étaient nettement inférieurs à
ceux de ses voisins. « Cellou » dénonce aussi « l’insécurité grandissante »
dans Conakry. En novembre 2012, Aïssatou Boiro, la directrice du Trésor public,
a été assassinée en pleine rue de Conakry à bord de son véhicule. En février
dernier, Thierno Aliou Diaouné, le coordonnateur d’un fonds onusien, a connu le
même sort dans des circonstances similaires.
En 2010,
j’ai hérité d’un pays, pas d’un État
Alpha Condé
Alpha Condé
« En 2010,
j’ai hérité d’un pays, pas d’un Etat », aime à rétorquer Alpha Condé, 77 ans. «
L’eau, l’électricité, les télécommunications… La Côte d’Ivoire a depuis
longtemps des infrastructures et une base économique que la Guinée n’avait pas
quand Alpha est arrivé au pouvoir », précise l’un de ses supporters, le député
Ousmane Kaba. Lors de ses nombreux meetings à travers le pays, dans son fief
malinké de Haute-Guinée comme dans les autres régions, le président sortant
brandit le gros allègement de dette qu’il a obtenu de la part des bailleurs de
fonds. « En quinze ans de gestion, aucun de mes prédécesseurs [sous-entendu, ni
l’ex-Premier ministre Sidya Touré, ni l’ex-Premier ministre Cellou Dalein
Diallo] n’est parvenu à conclure un accord avec le FMI. Moi, je l’ai fait en
2012 », clame Alpha Condé.
Surtout, le
président sortant soigne la mise en scène de ses résultats. Le 26 septembre, la
télévision guinéenne a diffusé en direct un grand concert gratuit intitulé «
Ebola : tous ensemble vers la victoire ». L’événement était organisé à Conakry
par le groupe de médias Vivendi, propriété de l’opérateur français Vincent
Bolloré. Et le 28 septembre, en présence de Denis Sassou-Nguesso et de
Mahamadou Issoufou, ses homologues du Congo Brazzaville et du Niger, le chef de
l’Etat guinéen a inauguré en grande pompe le barrage de Kaleta. Ce barrage, le
plus grand ouvrage hydro-électrique du pays, a déjà commencé à produire de
l’électricité et atténue les fréquentes coupures de courant dont souffrent les
habitants de Conakry. Plus d’électricité et moins de bougies et de lampes basse
consommation le soir dans la capitale et dans quelques villes de l’intérieur du
pays, c’est une nouveauté qui tombe à pic pour le candidat « Alpha » !
Comme en
2010, Alpha Condé et Cellou Dalein Diallo savent que, pour gagner, ils ont
besoin d’alliés. Bonne nouvelle pour « Alpha » : depuis mai dernier, l’alliance
« Cellou » – « Sidya » est cassée. En effet, Sidya Touré, 70 ans, est fatigué
d’être l’éternel second de « Cellou » et veut faire cavalier seul. Ce 11
octobre, le candidat de l’UFR, qui était arrivé troisième au premier tour de
2010, espère gagner des voix bien au-delà de son fief de Basse-Guinée, en
s’affichant comme un candidat moins clivant que les deux finalistes de 2010. Et
s’il y a deuxième tour, il n’exclut pas de faire un « ticket » avec Alpha
Condé, son « ennemi » d’hier. « Ceux qui voudront me soutenir [si je suis
qualifié pour le second tour], je leur tiendrai la main absolument », dit-il.
Sous entendu : « Tout est possible. »
Aussitôt,
dès que « Sidya » a fait défection, « Cellou » a mesuré le danger. En juin
dernier, afin de ne pas se faire marginaliser sur la scène politique guinéenne,
le leader de l’UFDG est allé rencontrer l’ancien putschiste Moussa Dadis Camara
à Ouagadougou et a scellé avec lui une alliance électorale en vue de ce 11
octobre. Objectif : retourner la Guinée forestière, le fief de « Dadis », en sa
faveur. Le problème, c’est que le capitaine Dadis Camara est un allié très
encombrant. Le 28 septembre 2009, alors qu’il était au pouvoir depuis neuf
mois, son armée a fait irruption dans le grand stade de Conakry, où « Cellou »
et l’opposition tenaient meeting, et a tiré sur la foule. Selon un rapport de
la Commission nationale d’enquête de l’ONU, 157 personnes ont été tuées par
balle ou à l’arme blanche et 109 femmes ont été violées. Un véritable massacre.
Cellou Dalein Diallo lui-même a été grièvement blessé.
La revanche
à tout prix?
« Cellou »
a-t-il commis une erreur politique en « insultant la mémoire » de toutes les
victimes de septembre 2009, comme dit Amadou Damaro Camara, le chef du groupe
RPG à l’Assemblée nationale ? Pas sûr. « Jusqu’à présent, les critiques au sein
de la communauté peule envers l’alliance Cellou-Dadis sont restées limitées à
la diaspora et aux proches des victimes, remarque Vincent Foucher, analyste
senior pour l’International Crisis Groupà Dakar . Au plan électoral, Dadis peut
être un bon allié : il appartient à l’ethnie guerzé, l’un des groupes de la
Guinée forestière, et a conservé, dans cette région au moins, une vraie
popularité. En ce sens, Cellou a déjà réalisé un bon coup tactique au plan
interne, au prix, sans doute, d’un certain brouillage de son image
internationale. » Avant ce retournement d’alliance, l’exilé politique Dadis
Camara coulait des jours tranquilles au Burkina Faso.
Depuis,
c’est fini. Le 6 juillet deux juges guinéens ont débarqué à Ouagadougou, l’ont
auditionné puis l’ont inculpé pour « complicité d’assassinats, séquestrations,
coups et blessures ». Et le 25 août, quand « Dadis » a joué son va-tout en
tentant de rentrer à Conakry pour déposer sa candidature, son avion de ligne a
été détourné sur ordre du président ivoirien Alassane Ouattara, lui-même
sollicité par son homologue guinéen Alpha Condé. Preuve que cette nouvelle
alliance « Cellou »-« Dadis » suscite des remous dans le camp d’ « Alpha ».
Outre les
scores d’« Alpha », de « Cellou » et de « Sidya », il faudra surveiller, ce 11
octobre, la performance de l’ancien Premier ministre Lansana Kouyaté, 65 ans,
qui est arrivé quatrième au premier tour de 2010. Le candidat malinké du Parti
de l’espoir pour le développement national (PEDN) croit, lui aussi, en la
victoire. Autre prétendant sérieux, Papa Koly Kourouma, du parti Générations
pour la réconciliation, l’union et la prospérité (GRUP). Arrivé cinquième en
2010, ce fils de Guinée forestière, qui n’est autre que l’oncle du capitaine Dadis
Camara, espère bien jouer les trouble-fête ce 11 octobre. A priori, les chances
de Georges Gandhi Tounkara, de l’Union guinéenne pour la démocratie et le
développement (UGDD), de Faya Lansana Millimono, du Bloc libéral, et de
Marie-Madeleine Dioubaté, du Parti des écologistes de Guinée (PEG) – la seule
femme de cette compétition politique –, semblent beaucoup plus minces. Mais qui
sait ? La Guinée, « scandale géologique » comme disent les opérateurs miniers,
peut aussi nous réserver quelques surprises politiques.
Rfi
Rfi
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