Officiellement, les Etats-Unis et la France ne sont plus les seuls pays en guerre contre l’Etat islamique (EI). A l’occasion des premières frappes américaines en Syrie, le Pentagone a révélé l’identité des « nations partenaires », impliquées à ses côtés dans l’offensive contre l’organisation djihadiste. Il s’agit de l’Arabie saoudite, des Emirats arabes unis, du Qatar, du Bahreïn et de la Jordanie, cinq monarchies alliées de longue date des Etats-Unis au Proche-Orient, et membres, pour les quatre premières, du Conseil de coopération du Golfe (CCG).
Le rôle exact que joueront ces Etats dans l’intervention militaire américaine reste pour l’instant flou. Le royaume hachémite est le seul à avoir confirmé sa participation aux bombardements. « Aux premières heures de la journée, des formations de l’aviation royale jordanienne ont détruit un certain nombre de cibles de groupes terroristes qui ont l’habitude d’envoyer leurs éléments en Jordanie pour y commettre des actes de sabotage », a déclaré l’armée jordanienne. Le communiqué de l’état-major précise que les frappes ont eu lieu dans les zones frontalières, autrement dit dans le sud de la Syrie et dans l’ouest de l’Irak.Dans les monarchies de la péninsule Arabique, en revanche, les déclarations du ministère de la défense américain n’avaient suscité aucune réaction officielle, mardi 23 septembre en début d’après-midi. Un silence qui traduit la répugnance de ces pays à reconnaître leur engagement dans une guerre assez peu populaire dans leur opinion publique. Une partie de leur population, violemment hostile à l’Iran, ne voit pas forcément d’un mauvais œil l’offensive des fanatiques sunnites de l’EI contre le pouvoir central irakien, aux mains des chiites.
Si les souverains du Golfe ont donné leur bénédiction à l’attaque américaine, c’est parce qu’ils espèrent la détourner à des fins de politique intérieure. La mise à l’index de l’EI est l’occasion rêvée pour ces autocrates de délégitimer toute forme de contestation de leur pouvoir. L’Arabie saoudite et les Emirats arabes unis ont criminalisé comme « terroriste » non seulement les organisations djihadistes, comme l’EI et le Front Al-Nosra, mais aussi les Frères musulmans, qui sont les principaux opposants aux dynasties en place à Abou Dhabi et à Riyad.
Le Qatar, pour sa part, a longtemps soutenu les Frères, ce qui lui vaut des relations très tendues avec ses deux voisins, émirati et saoudien. Mais il partage avec Riyad une même frustration vis-à-vis des atermoiements de Barack Obama sur le dossier syrien. En ralliant l’attaque contre l’EI, aussi tardive soit-elle, le Qatar et l’Arabie se donnent les moyens de peser sur le président américain et d’espérer de sa part une politique plus offensive à l’égard du régime syrien. Quant à l’archipel du Bahreïn, satellite du royaume saoudien, il n’a pas de véritable autonomie diplomatique.
La présence de la Jordanie aux côtés des quatre pétromonarchies du Golfe n’est pas étonnante. En mai 2011, en plein printemps arabe, de concert avec le Maroc, Amman avait sollicité la possibilité d’intégrer le GCC. Cette initiative, soutenue par Riyad, a fait long feu. Elle était destinée à cimenter les liens entre royaume arabes face aux forces révolutionnaires en train d’émerger en Egypte, en Libye et en Tunisie. La Jordanie a certes des raisons très réelles de craindre un débordement du fléau djihadiste sur son territoire. Mais son ralliement à la coalition anti-EI a également une signification politique. « La lutte contre le terrorisme est la meilleure garantie de perpétuation des régimes existant, se désole l’historien libanais Fawwaz Traboulsi. Les syndicats, les ONG, toutes les forces de la société civile sont mises de côté. On se retrouve pris en étau entre les islamistes et les militaires. Des décennies de guerre qui n’en finissent jamais. Voilà le sort de notre région. »
Benjamin Barthe (Beyrouth, correspondant)
Chef-lemonde
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